Tableaux d’une exposition : le Paris fin de siècle alternatif d’Yves Letort et Fabrice Le Minier
Publié le

En 1999 paraissait au Fleuve Noir l’anthologie steampunk de Daniel Riche intitulée Futurs antérieurs. Une curiosité bibliophilique, nouvelle d’Yves Letort abondamment illustrée par Fabrice Le Minier, concluait le volume. L’année dernière, Flatland éditeur a intégré cette nouvelle et les dessins qui l’accompagnent au sommaire de Fins de siècle, recueil de nouvelles d'Yves Letort ayant trait à quelques fins de siècles alternatives. Une publication qui a attiré l’attention du jury du Prix ActuSF de l’Uchronie, qui l’a incluse dans sa première sélection. Dans ce billet de blog, l'auteur a bien voulu revenir sur la genèse de ce texte et sur sa collaboration avec Fabrice Le Minier, dont on découvrira dans le carrousel d'images ci-dessous les dessins préparatoires.
Difficile de se remémorer en détails, près de vingt-cinq ans plus tard, ce qui a déclenché la rédaction d’Une curiosité bibliophilique. Toutefois, la genèse de cette histoire est redevable à Roland C. Wagner qui m’avait parlé de l’anthologie « steampunk » que préparait Daniel Riche, Futurs antérieurs. Avec trois pochades publiées par Roland dans son Garichankar, j’avoue avoir manqué de modestie en songeant que je pourrais être associé à une telle entreprise, surtout si l’on considère le sommaire a posteriori (Sylvie Denis, Michel Demuth, Roland, etc.).
Pour ce qui concerne l’idée de départ, je n’ai pas eu besoin de piocher très loin : ma familiarité, à l’époque, avec l’univers vernien, mon métier exercé en partie dans le domaine de la bibliophilie et le fait que je n’étais pas étranger au monde de la SF ont abouti à cette nouvelle en forme de chronique. Il manquait cependant quelque chose ou plutôt quelqu’un que je n’eus aucun mal à trouver : Fabrice Le Minier qui, dans un exercice autrement radiophonique (!), croquait les invités dans l’émission de BD juste avant celle que j’animais. Mais s’adjoindre un illustrateur pour endosser le rôle du personnage principal, l’identifier à Fabrice ne constituait qu’une étape afin qu’il échappe à une simple fonction de dessinateur, ce dont il se serait de toute façon acquitté avec talent si l’on en était resté là.
Je lui proposai alors de travailler de concert et à partir du texte. Il s’agissait d’illustrer l’Exposition universelle de 1916 avec des critères qui se rapprochaient des exigences de Verne et Hetzel à l’égard de leurs illustrateurs. Ce travail commun s’est nourri de plusieurs sources qui allaient des articles publiés dans Pour La Science sur l’exobiologie imaginaire jusqu’aux ouvrages et catalogues consacrés à l’architecte visionnaire Étienne-Louis Boullée. Par bonheur, et comme il arrive souvent dans l’élaboration d’anthologies, le délai de remise des textes nous permit un long échange où Fabrice m’envoyait des propositions que nous disputions ensuite autour d’une table ou d’une partie de badminton et accompagné d’éclats de rire, surtout à cause de Fabrice, époque joyeuse et désormais nostalgique. L’éloignement fait que nous ne revivrions certainement pas un tel moment, hélas.
Donc, Fabrice envoyait une proposition très élaborée d’après ce que nous avions débattu auparavant et l’ajustait ensuite après mes remarques… et régulièrement pas du tout puisque l’essai n’avait nul besoin de correction ! Certes, quelques illustrations ont été retoquées, surtout au début de nos échanges, mais Fabrice, qui détenait tout de même pas mal de latitudes, a créé un univers unique et qui allait bien au-delà de ce que j’avais imaginé dans mon coin au tout début. L’art du cadrage et l’humour de Fabrice améliorèrent le récit considérablement. Grâce à cela, j’ai pris l’habitude, quand je le pouvais, de demander à des illustrateurs de venir travailler sur certaines de mes nouvelles en donnant leur interprétation ou leur propre variation, mais sans mon intervention, cette fois-ci. La surprise est souvent au rendez-vous, le plaisir également, cela signifie que le texte fonctionne assez pour que l’artiste produise quelque chose à partir de ce matériau.
Daniel Riche a apprécié notre travail et l’a inclus dans l’anthologie qui est parue en 1999. Conformément au récit, les vingt et une illustrations qui constituaient le portfolio créé par Théophile Grandin fermèrent la nouvelle, mais aussi le volume, comme ils allaient le faire pour sa réédition. C’était mon premier texte « professionnel », publié en très bonne compagnie et il reçut plus tard un avis très sympathique de la part d’Étienne Barillier et de Raphaël Colson 1. L’absence de mon nom sur la couverture de l’ouvrage, due à une erreur du maquettiste résulte en définitive d’une justice immanente : la nouvelle reposait sur le grand talent de Fabrice (mais je l’ai tout de même eue mauvaise pendant pas mal d’années !)
Vingt-cinq ans plus tard, je proposais à Leo Dhayer de republier Une curiosité bibliophilique, revu et corrigé 2, accompagné de trois autres nouvelles chez Flatland : Gelée, écrite à la même époque et jamais présentée, réécrite pour la circonstance, et deux textes récents : Incident dans le métropolitain, et Le congrès dentaire de 1896, dans le recueil Fins de siècle. Il était devenu évident dès la genèse du projet que Fabrice y serait associé ! Le recueil est paru en 2024 et reprend pour Une curiosité bibliophilique les illustrations du recueil de 1999.
Restait une somme de travaux préparatoires, de croquis et de « crobards », de dessins abandonnés qui sommeillaient dans une chemise et que Fabrice m’adressait régulièrement par courrier avant de passer à la maison pour en discuter. Les essais (fort heureusement, des photocopies) étaient glissés dans une enveloppe de format A5, raison pour laquelle on trouvera quelques pliures sur les reproductions. La mise en ligne de ces travaux ajoute une coda à une histoire de presque vingt-cinq ans qui a retrouvé sa jouvence sous la très belle couverture façonnée par Leo Dhayer. Il semble inutile de commenter les différents essais, mais je vous incite à les comparer avec les dessins du volume…
Yves Letort : Fins de siècle, recueil illustré par Fabrice Le Minier — Flatland éditeur (2024)
1 : Étienne Barillier & Raphaël Colson : Tout le steampunk ! (2014).
2 : Grâce au professionnalisme d’Armelle Domenach.